Il y a quelques années j’ai beaucoup lu sur la colonisation spatiale, pour un projet qui n’a pas vu le jour (si vous êtes abonné’es aux cailloux depuis le début, vous vous souviendrez peut-être de la thématique cosmique qui infusait de nombreuses lettres en 2018-2019). Ma conclusion était la suivante : personne ne veut aller vivre sur Mars, ou dans la haute atmosphère de Vénus. Même EIon Musk. Là où on veut vivre c’est ici, sur Terre, là où la vie existe et est possible – bien que l’on (certains plus que d’autres) s’applique à détruire les conditions mêmes qui permettent que la vie existe sur ce caillou humide qui traverse l’obscurité sidérale.
Tout ça pour dire que j’ai trouvé cet article bien percutant, drôle même, bien que tout cela prête plutôt à pleurer.
OK, so you still want to talk about Mars. Fine. Let's imagine that Mars's lack of a magnetic field somehow is not an issue. Would you like to try to simulate what life on Mars would be like? Step one is to clear out your freezer. Step two is to lock yourself inside of it. (You can bring your phone, if you like!) When you get desperately hungry, your loved ones on the outside may deliver some food to you no sooner than nine months after you ask for it. This nine-month wait will also apply when you start banging on the inside of the freezer, begging to be let out.
Congratulations: You have now simulated—you have now died, horribly, within a day or two, while simulating—what life on Mars might be like, once you solve the problem of it not having even one gasp worth of breathable air, anywhere on the entire planet. We will never live on Mars.
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Je suis allée pour la première fois visiter le Musée des Confluences à Lyon, ouvert il y a 10 ans, mieux vaut tard que jamais. Il y a trop d’animaux morts, de dépouilles humaines qui devraient reposer ailleurs que dans une vitrine et d’objets volés un peu partout à mon goût, mais j’ai vécu une expérience quasi-mystique en touchant (on a le droit !) la météorite Zerhamra, découverte en Algérie en 1967. Ça ressemble à de l’argile sombre lissée par des doigts millénaires, au toucher c’est froid et massif et laisse sur la paume une odeur de fer astral.
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Ces derniers temps j’ai lu. Alors c’est bien, de Clémentine Mélois :
Mais en les regardant, on comprend que nous sommes, comme eux, des insectes insignifiants, voués à la mort et à l'oubli, perdus dans l'infinité de l'Univers sans cesse en expansion. Cette idée est insupportable. Pour ne pas y penser, l'humain est obligé de faire diversion. Ceux d'entre nous qui ne se démènent pas pour leur survie s'occupent à n'importe quoi d'autre: ils déclenchent des guerres ou militent contre l'immigration. Ils s'accrochent à leurs certitudes, collectionnent des fèves ou des boîtes à biscuits, signent des pétitions, baisent tant qu'ils peuvent, bricolent par-ci par-là, se passionnent pour des polices d'assurance, repassent leurs slips, font des réunions ou achètent la dernière voiture toutes options. Tout, plutôt que regarder la mort en face. Mais ces jours-là, je n'avais pas le choix.
La Cache de Christophe Boltanski. J’ai pleuri à la lecture de cet extrait :
Nous avions peur. De tout, de rien, des autres, de nous-mêmes. De la nourriture avariée. Des œufs pourris. Des foules et de leurs préjugés, de leurs haines, de leurs convoitises. De la maladie comme des moyens mobilisés pour la contrer.
Du comprimé absorbé après une lecture attentive du dictionnaire Vidal. De l'asphyxie au gaz de ville. D'une noyade en mer. D'une avalanche en montagne. Des voitures. Des accidents. Des porteurs d'uniforme. De toute personne investie d'une autorité quelconque, donc d'un pouvoir de nuire. Des formulaires officiels. Des recours administratifs. De la petite comme de la grande histoire. Des joies trompeuses. Du blanc qui présuppose le noir. Des honnêtes gens qui, selon les circonstances, peuvent se muer en criminels.
Des Français qui se définissent comme bons, par opposition à ceux qu'ils jugent mauvais. Des voisins indiscrets. De la réversibilité des hommes et de la vie. Du pire, car il est toujours sûr.
Jacqueline Jacqueline de Jean-Claude Grumberg, dont les passages qui m’ont le plus plu sont ceux en dialogue avec sa petite-fille, Jeanne, 5 ans :
Dès que nous nous sommes installés, Jeanne et moi, à nos places, immédiatement après le départ du train, elle a sorti de son petit sac à dos un des livres que tu aimais lui lire, les contes d'Eugène Ionesco pour enfants de moins de trois ans. À l’époque, comme tu le sais, elle ne voulait pas que je parle de toi et je lui demandais toujours pourquoi. « Parce que ça va te faire pleurer. » J'avais beau lui dire que là on en parlait et que je ne pleurais pas, elle ne voulait pas.
À peine dans le train elle m'oblige à lire le premier conte. Celui – désopilant – dans lequel tout le monde, grands, petits, poupées, jouets, même les animaux, se nomme Jacqueline. Pendant toute la lecture où j'égrène ces Jacqueline, et Jacqueline, et Jacqueline, et Jacqueline, lecture que je fais en hésitant entre rire et larmes, elle me fixe, sourcils froncés, comme un chercheur ou un médecin observe son cobaye pour juger de l'étendue de sa douleur.
Le conte fini, elle reprit le livre sans un mot et le rangea. Alors, d'une voix que je voulus ferme :
« Tu vois, je n'ai pas pleuré.
— Tes yeux ne pleurent pas, pépé, mais ta voix pleure. »
Ma voix pleure, mémé, que faire ?
Enfin Tout brûler de Lucile de Pesloüan, court, incisif, lu d’une traite, comme on avale cul-sec un shot qui crame de l’intérieur, de la langue à l’estomac.
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Le 21 août dernier notre BD La haine du poil, co-écrite avec Sara Piazza et Juliette Mancini et dessinée par Juliette est sortie en librairie ! Merci à celleux qui l’ont lue et nous en ont parlé, c’est vraiment formidable de pouvoir le partager et d’entendre ce qui résonne, détonne, et pas forcément là où on l’attendait. J’ai même pu parler du projet avec Lucie Hennequin dans le HuffPost !
Et puis le projet dont je parlais en février, Imago ou la phrygane, commence à prendre forme, il tisse son cocon et si tout se passe bien, il en émergera un album illustré (où ? quand ? nul ne sait, ça prend du temps les métamorphoses).
Dernièrement je me suis dit, comme souvent, que je n’ai rien d’autre à écrire – à écrire et à partager avec d’autres – mais j’ai été surprise de voir une nouvelle histoire éclore et réclamer un nom et de la nourriture. Comme à chaque fois, j’ignore tout de sa forme finale, pour le moment je l’ai nommée L’infans (titre provisoire mais ils finissent souvent par être définitifs). Je la nourris chaque semaine avec de nouveaux mots.