Ça faisait un petit moment que je voulais écrire, sans trouver le temps, et là ça semble un peu futile et en même temps c’est peut-être justement le moment.
Le moment de partager ces mots d’Alice Zeniter :
Hier, au repas du village, pour les feux de la Saint-Jean, quelqu'un a fait une blague sur le fait que j'allais forcément voter Front populaire. Parce que sinon, en tant qu'artiste, j'allais perdre mon gagne-pain. Si le RN passe... si le RN passe. Et toute la table a ri. Ce n'était pas pour se moquer, c'était pour exorciser les peurs. Mais ce n'était pas ma peur. Ce n'est pas ce qui m'inquiète aujourd'hui. Pouvoir publier mes livres ou produire mes spectacles.
Ce qui m'inquiète aujourd'hui, c'est qu'un gamin de vingt ans arrache le voile de ma grand-mère quand elle va au supermarché, la frappe et lui crache dessus. (Ce n'est pas arrivé.)
C'est le type qui le soir de la dissolution a traité ma sœur de crouille, ce mot-là, précisément, ce vieux mot de 1960, comme s'il s'était assis dessus pendant des décennies en attendant de pouvoir le sortir, et ça le démangeait, il en trépignait. Comme si ce dimanche soir, enfin, il levait une fesse et que le vieux mot puant s'échappait. (C'est arrivé.)
Ce qui m'inquiète, c'est de m'inquiéter. De dire aux ami.e.s racisé.e.s, aux potes lesbiennes et gays : fais gaffe quand tu sors, hein. De penser que c'est à elleux que je demande de faire les efforts, d'être aux aguets, parce que les autres, en face, se déchaînent - et qui les convaincra d'arrêter ?
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Et puis ceux de Martin, qui tapent juste.
Le fascisme ne diffuse pas de musique inquiétante dans les rues pour bien faire savoir que les choses ont changé. Au contraire, aujourd’hui le fascisme tient à sa respectabilité, et il a toujours été très accueillant pour ses amis, c’est-à-dire tous ceux qui sont prêts à fermer les yeux sur lui — les gens étaient ravis d’aller en vacances en Espagne sous Franco ou dans la Tunisie de Ben Ali. Tant qu’on ne sera pas personnellement désigné comme l’ennemi, il nous suffira donc de continuer à ajouter chaque jour de nouveaux trucs à la liste des choses qu’on préfère ignorer pour retrouver le confort de la normalité.
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Je le disais il y a quelques semaines — à mon sens le plus urgent, la base de tout, c’est de trouver un endroit où être utile près de chez soi, où qu’on soit. C’est crucial de recréer de l’entraide, de la solidarité, de retrouver de l’ancrage local. Si vous avez de l’argent, donnez-en à des gens qui font, mais si vous avez du temps, c’est vraiment bien aussi d’aller directement filer un coup de main et rencontrer d’autres personnes — syndicats, collectifs de mal logés, de sans-papiers, de chômeurs, coopératives alimentaires, associations d’insertion, d’éducation populaire, que sais-je — parce que dans un contexte tel que celui que nous allons connaître, les liens personnels de confiance sont cruciaux. Ces liens mettent du temps à se tisser — et plus encore maintenant que la méfiance sera de mise pour toutes celles et ceux qui auront le plus à perdre.
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Et puis je voulais partager des petits bouts de joie, parce que franchement il en faut, même (surtout ?) dans le marasme actuel.
J’ai adoré (a-do-ré) la petite série d’animation Samuel d’Émilie Tronche. C’est si juste, si touchant, si drôle, vraiment merveilleux. Et puis on voit qu’elle aime animer les corps en mouvement, les moments de danse sont d’une grâce incroyable.
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Toujours du côté de la joie, je suis très fière de pouvoir annoncer la sortie de La haine du poil, la BD que j’ai co-écrite avec Juliette Mancini et Sara Piazza, dessinée par Juliette, qui va paraître chez Cambourakis le 21 août prochain, après plusieurs années de travail. A labour of love.
À travers une galerie de personnages – adolescente, psy, esthéticienne, chercheuse… – nous voulions ouvrir une réflexion féministe, psychanalytique et variée sur un sujet qui suscite de vives réactions ; le poil féminin. On peut d’ores et déjà précommander la BD, j’espère que ça vous parlera et que vous vous marrerez à nos blagues, au moins autant qu’on s’est marrées à les écrire.
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Et puis Quentin Lannes, mon artiste/personne préf, présente son exposition Digital Spleen dans le cadre de son DSRA (diplôme supérieur de recherche en art), la semaine prochaine au réfectoire des nonnes de l’ENSBA Lyon. Le vernissage aura lieu mercredi 10 à 18h, et l’expo est ouverte jeudi 11 de 13h à 19h.
Ça parle de mémoire, de deuil et de chatbots. Pour celleux qui ne peuvent pas y aller mais sont intrigué·es, vous pouvez parcourir les références de son travail de veille sur In loving memory : a digital inventory, ou lire son article Notes sur les bots mémoriels.
En 2018, je commence à m’intéresser tout particulièrement aux bots mémoriels. Ce sont des agents conversationnels informatiques avec lesquels il est possible de clavarder ou d'échanger de vive voix, et qui écrivent ou parlent dans le style d’une personne décédée. En anglais on utilise aussi bien les termes « memorial bot », « deadbot », « ghostbot » que « griefbot ». Avec ce texte, rédigé en mai 2024, j’essaye de rendre compte de ma recherche portant sur une décennie d’expérimentations technologiques.
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Pour cette recherche et cet écrit, je me suis appuyé sur la Wayback Machine, une initiative de préservation numérique menée par Internet Archive. Leurs bots parcourent Internet et réalisent des captures d’écrans de pages web, puis les archivent. Les bots passant à intervalles réguliers sur les mêmes pages, il est donc possible de retrouver à quoi ressemblait une page web, au fur et à mesure des années, même après la fermeture du site en question. À cette ressource se sont ajoutées mes propres captures d’écran et vidéos téléchargées sur Internet depuis des années, conservées dans des disques durs. Je dois cette pratique assidue de l’archivage à mon père, archiviste familial et généalogiste amateur devant l’éternel.
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Ce sera tout pour cette fois. En attendant, aujourd’hui, demain et toujours ; aux urnes, aux syndicats, aux assos, à la convivialité, à l’espoir d’un monde juste.