cailloux n°38

contrôle des corps et autonomie

cailloux*
3 min ⋅ 24/05/2019

Cette semaine, une newsletter sans doute plus accordée à l'actualité que d'habitude, car on y parlera principalement de procréation, de contrôle du corps des femmes et d'autonomie. Car les fonctions reproductives des femmes sont encore un enjeu de pouvoir, qu'elles désirent ou non concevoir des enfants.

D'abord, l'univers du groupe de Detroit Drexciya va être prochainement adapté en bande-dessinée par Abdul Qadim Haqq.

Cet article de Kodwo Eshun sur l'afrofuturisme présente entre autres la mythologie imaginée par le groupe, inspirée de The Black Atlantic de Paul Gilroy d'un peuple humain aquatique, les Drexciyans.

The “Drexciyans” are water-breathing, aquatically mutated descendants of “pregnant America-bound African slaves thrown overboard by the thousands during labour for being sick and disruptive cargo.”

*
Au vu des débats récents et semble-t-il toujours renouvelés sur le droit des femmes à disposer de leur corps, j'ai repensé à ce bel article de Béatrice Kammerer, qui explique comment quelques années avant la légalisation de l'IVG en France le taux de mortalité lié aux avortement clandestins à chuté. C'est l'Histoire de mouvements féministes comme le MLAC / Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception et de la méthode Karman.

«La contraception on nous l'a donnée, l'avortement on l'a pris.»

Aujourd'hui encore des personnes luttent pour ce droit, comme le Dr. Willie Parker.

"Is it a person? Not by the standards of the law, he says. Is it viable outside the womb? It is not. So this piece of life—and remember, sperm is alive, eggs are alive, it's all life—is still totally dependent on a woman. And that dependence puts it in the domain of her choice."

*
Enfin, quelques mots ici d'une réflexion qui aura sa place ailleurs. En relation avec les discours sur le changement climatique on entend régulièrement parler de surpopulation avec la thèse qu'il faudrait réguler la population humaine. Il me semble tout d'abord que cette idée de surpopulation sous-tend la vision d'un monde où nous n'aurions absolument pas à changer notre mode de vie, si seulement il ne fallait pas partager les ressources avec le reste du monde. C'est une logique fallacieuse puisque tout d'abord, les ressources ne sont pas partagées, ensuite parce que dans une logique capitaliste il n'existe pas de limites à ce que nous pouvons désirer et consommer. Il n'y aurait donc jamais assez – et pour s'en persuader il suffit de lire les chiffres des salaires mensuels des hommes les plus riches de la planète.

Ensuite cette idéologie véhicule toujours – même si parfois de manière inconsciente – un imaginaire eugéniste, raciste et sexiste. Dans le discours des personnes qui la défendent, il s'agit toujours de contrôler la reproduction des autres. Et ça, ça existe déjà. Les stérilisations forcées ont existé, elles étaient le fait de pouvoirs coloniaux et impérialistes, le contrôle des naissance aussi, par des pouvoirs autoritaires, le corps des femmes est contrôlé, maltraité, contraint, partout, tout le temps. Aussi, quand un auteur écrit un livre avançant l'idée d'un permis de procréer et qu'il expose ses idées dans les medias, on nage en plein fantasme fasciste. Dans un monde inégalitaire comme le nôtre, il est évident que ceux à qui l'on interdirait de devenir parent sont les Autres, les plus vulnérables : les plus pauvres, les non-blancs, les personnes trans, homosexuelles, les personnes handicapées, les personnes qui souffrent de troubles psychiques. Car ceux qui ont le pouvoir de contrôler la vie d'autrui sont des hommes, sont les plus riches, sont blancs, cis et valides et n'ont jamais à se justifier pour avoir le droit de vivre comme ils l'entendent, eux.

Le meilleur moyen de limiter les naissances non-désirées réside dans la justice reproductive, une conception intersectionnelle – portée par des militantes noires-américaines en premier lieu – de l'accès à la contraception, à l'avortement, à un support social dans l'éducation des enfants. Ainsi, plutôt que de porter des théories eugénistes, l'auteur devrait s'engager activement dans la lutte féministe. Il obtiendrait le même effet tout en favorisant plus d'autonomie pour les individus, même et surtout ceux dont on pense pouvoir gérer la vie sans scrupules.

cailloux*

cailloux*