cailloux n°39

la silhouette de la nuit

cailloux*
3 min ⋅ 03/06/2019

Ces derniers jours Paul B. Preciado parlait à la radio. Je me demande parfois pourquoi quand quelqu'un fait la promotion d'une création il faut absolument que cette personne dise globalement la même chose, à plein de personnes différentes, qui vont toutes écrire sensiblement la même chose, jusqu'à la saturation. C'est ce que je me suis dit en voyant qu'il avait été invité deux fois sur France Culture dans Les Chemin de la philosophie par Adèle Van Reeth et dans Par les temps qui courent par Marie Richeux.

Pourtant, après avoir écouté la première, j'ai écouté la seconde avec plaisir car, pour une fois, le discours n'était pas un calque et ces deux heures étaient également enrichissantes, offrant un point de vue spécifique sur une même pensée.

J'ai notamment été touchée par ce qu'il raconte de la recherche identitaire et de sa volonté de détachement de l'identité. Pour ma part, plutôt que de savoir qui je suis et qui sont les autres, je m'intéresse à présent surtout à ce que je fais, dis, pense et ce que les autres font, disent, pensent. Cela me rappelle d'ailleurs un texte de Preciado sur l'amour et l'acte d'aimer, qui m'avait bouleversée tant il entrait en résonance avec mon expérience d'alors.

"Paradoxalement, maintenant que je ne crois plus en l’amour, pour la première fois, je suis prêt à aimer : de manière contingente, finie, immanente, anormale. Je sens que je commence à apprendre à mourir."

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Par association d'idées, cette réflexion sur la saillance de l'identité et la distance que l'on met entre soi et autrui dans une missive de L.M. Sacasas.

"The more powerfully (and more narrowly) we identify with our people, the more powerfully we are tempted to distance ourselves from those who are not our people."

Et par association d'idée encore, je repense au formidable spectacle de Hannah Gadsby Nanette, que j'ai regardé 3 fois et si vous ne l'avez pas vu vous devriez, au moins une fois car c'est si bien écrit, si fort et juste, que ha, je voudrais le revoir une quatrième fois. Elle refuse de laisser les expériences traumatiques qu'elle a subies définir son identité, et pour cela, demande que nous, son public, partagions son histoire, avec son début, son apogée, et sa fin, non pas seulement sa chute, pour enfin arriver à lier toutes ces parties ensembles.

* On peut voir jusqu'au 25 août au Centre d'Art Contemporain de Genève l'exposition monographique To Catch A Fish With A Song de l'artiste islandais Hreinn Friðfinnsson. C'est une jolie exposition, douce et sobrement fantaisiste. Il y est surtout question de l'attention que l'on porte à ce qui nous entoure. On peut y voir – si l'on est attentif – une feuille morte entourée de miroirs, une météorite attirant des aimants, ce qui ressemble à une soucoupe volante qui dévoile, quand on s'en approche, une hutte posée au milieu d'un paysage sauvage, une chaussure qui regarder son reflet, la silhouette de la nuit sous la forme d'un papier enroulé sur lui-même.

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J'ai appris récemment que les arbres dorment aussi.

Le jour, les branches et les feuilles se hissent pour capter la lumière du soleil et activer la photosynthèse indispensable à la survie des végétaux, mais la nuit, elles retombent, comme pour se reposer.

cailloux*

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