quelques questions sur la technologie et les espaces de coopération
J'ai parfois l'intention de parler d'une chose – je voulais par exemple vous parler de Charlie Ravioli – mais d'autres pensées s'interposent et la thématique de la tinyletter change complètement. Cette semaine donc, je me pose surtout des questions, et j'en profite pour vous les poser aussi.
Jaron Lanier parle des espoirs déçus de la VR des années 80 et des espoirs actuels pour la technologie.
We have entered into a contract with the future in which we will perpetually fix the mistakes created by previous fixes, and yet overall, in the biggest picture, we will give mankind more comfort, safety, and options to be decent.
Un point de vue qui me surprend car il ne nomme jamais ce qui nous pousse à commettre ces "erreurs" qu'il faut ensuite réparer avec davantage de technologie – le capitalisme ? – mais intéressant car il offre un point de vue qui m'est étranger : une confiance authentique dans le progrès technologique.
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Virilio pointed out, decades before anyone cared, that it's the speed of technology that is going to kill us. It is the relentless, voracious appetite for innovation that is dangerous, that technology moves and mutates and becomes so quickly entrenched in human ways of doing things that there is no way to really examine it or consider its larger - or largest - effects.
Un autre point de vue sur la technologie – étrange aussi car il me semble encore une fois qu'un élément important n'est pas nommé, le fait que la technologie est faite en premier lieu par les humains, qu'elle n'est jamais immaculée mais toujours teintée de nos valeurs et de nos biais.
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À propos de biais :
Buolamwimi’s aims are […] to get the technology community, as a whole, to acknowledge that AI systems are extremely likely to replicate existing societal biases into digital systems unless we carefully, consciously, and explicitly address these biases.
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Pour finir, un numéro de la revue de l'Observatoire des Politiques Culturelles sur les tiers-lieux.
Plusieurs articles intéressants que je ne vais pas tous lister ici, et une diversité de point de vue qui souligne que le terme est équivoque, comme celui d'Arnaud Idelon, « Tiers-lieu culturel, refonte d’un modèle ou stratégie d’étiquette ? » qui évoque les squats, artist-run spaces, friches, tiers-lieux…
Désigner, et donc (se) définir, en opérant un choix parmi un certain nombre de vocables, participe de deux enjeux en coprésence. Tout d’abord, le choix du lexique est un choix sémantique puisqu’il importe pour le collectif d’élire la dénomination la plus fine et la plus pertinente pour décrire ses activités, ses modes d’organisation et sa posture. […] Il s’agit ensuite d’un choix stratégique dès lors qu’une dénomination engage à se positionner au sein d’un système de références et de connotations ; se nommer coïncide alors avec l’entrée dans un régime relatif qui engage à se comparer à d’autres modèles, se placer dans un champ disciplinaire ou un autre, se démarquer.
Et les risques de cette étiquette qui englobe parfois des réalités très différentes, dans l'article de Lucile Aigron et Léonor Manuel, « La Coopérative Tiers-Lieux : peut-on faire école des tiers-lieux ? »
À l’heure où les tiers-lieux sont en train de devenir un outil de marketing, la richesse d’une définition « souple », car déterminée par les usages, pourrait s’avérer être une faiblesse lorsque certaines collectivités territoriales et des entreprises avides de profits conjuguent leurs efforts pour réduire les tiers-lieux à de l’optimisation foncière et/ou à un outil de développement de l’économie numérique.
Les tiers-lieux sont des pratiques nous dit-on et on préfère parfois parler d'approche troisième lieu (une façon d'insister sur la pratique et moins sur l'étiquette) ou de tiers-espaces ; ils pourraient avoir une capacité, "par effet d’accumulation, à transformer les régimes dominants."
J'ai été étonnée par la référence répétée au 104 à Paris, que je n'avais pour ma part jamais identifié comme un tiers-lieu car il s'agit pour moi avant tout d'une grosse institution culturelle, hybride, certes, mais j'imaginais les tiers-lieux comme des espaces plus modestes, autogérés et moins, disons… institués. L'idée que j'en ai est sans doute également influencée par le vocabulaire de l'intermédiaire et de la tiercéité de Winnicott (lequel, par ailleurs, porte un regard critique sur ce qui s'institue).
Ma conclusion provisoire est que le terme est plus utile pour les institutions qui souhaitent rester vivantes que pour les initiatives autonomes, qui n'ont que peu de choses en commun avec ces grosses machines – aussi bien dans le projet que dans les moyens – et qui existent et existaient déjà, sous des appellations diverses.