comment occuper un long voyage en train
Dans un petit coin du web, un homme poste des vidéos de chats depuis 8 ans – et depuis peu, d'autres personnes l'ont remarqué.
"Despite their apparent mundanity, the videos remain enthralling. Because they involve cute animals, sure, but there’s more to it than that. Acts of care and maintenance are rare to witness, online and off. It’s heartwarming to see such acts carried out on a daily basis, with such intensity, without any apparent ulterior motive. It’s just a guy helping cats."
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Marie-Anne Paveau se penche sur nos comptes instagram pour une série de billets sur la photographie déictique dont le premier a été publié aujourd'hui.
"Ce que j’appelle photographie déictique, c’est une photo contenant une marque de subjectivité correspondant à l’un des trois critères classiques de la deixis : je, ici, maintenant. […] Le cadrage d’une photo, toujours déictique par définition puisque provenant d’une subjectivité corporelle, ne suffit cependant pas à la caractériser comme déictique car il n’en existe pas forcément de trace visible dans la photo ; je réserve donc cette appellation à des images comprenant des éléments, corporels ou non, qui signalent la présence physique du.de la photographe."
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Je suis partie une semaine à Berlin pour rendre visite à une amie. Durant les 21 heures de trajet en train – aller et retour – j'ai eu le temps de lire, regarder des films, jouer aux cartes, scroller sans fin sur instagram, prendre des photos par la fenêtre, tenter de déterminer si la Suisse alémanique est plus semblable à la Suisse romande ou bien à l'Allemagne.
J'ai donc débuté la lecture de Un monde vulnérable, pour une politique du care de Joan Tronto, qui, dès les premiers chapitres, pose les paradoxes et dilemmes inévitables auxquels sont confrontées toutes les personnes qui cherchent à s'organiser depuis la marge face à un pouvoir écrasant.
"Ils ne disposent que de deux options pour tenter de modifier la répartition du pouvoir. Il s’agit pour eux de revendiquer d’être admis au centre du pouvoir soit parce qu’ils sont semblables à ceux qui sont déjà en place, soit parce qu’ils sont différents mais ont quelque chose d’intéressant à proposer."
Il s'agit de tenter, encore et toujours, de définir les termes moraux et politiques du débat, mais aussi de centrer notre attention sur ce qui passe inaperçu.
"Le care est partout et il est un élément si ubiquitaire de la vie humaine qu'il n'est jamais considéré pour ce qu'il est : l'ensemble des activités par lesquelles nous agissons pour organiser notre monde de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Lorsque nous examinons la manière dont nous menons effectivement notre vie, les activités du care sont centrales et omniprésentes. Le monde apparaît sous un jour vraiment différent lorsque nous commençons à prendre ces activités au sérieux."
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Parmi les films vus, deux documentaires. Life, Animated de Roger Ross Williams, montre comment la famille d'Owen, un jeune garçon autiste, parvient à tisser un lien avec lui grâce à sa passion pour les dessins animés Disney. Won't you be my neighbor de Morgan Neville raconte le parcours de Fred Rogers pour créer des programmes télévisés qui permettent aux enfants d'exprimer leurs émotions.
Dans ces deux films il y a un moment similaire, que je trouve très touchant. Ron Suskind est pris d'une intuition soudaine et se met à parler avec son fils mutique par l'intermédiaire d'une peluche représentant Iago (le perroquet dans Aladin) et lui demande "When did you and I become such good friends?" Il réalise alors que son fils se sert de ces dessins animés pour comprendre le monde qui l'entoure et qui l'effraie. Fred Rogers est pris à parti par un petit garçon qui lui explique que l'oreille de son chien en peluche s'est détachée dans la machine à laver. Il répond en lui expliquant que c'est là la différence entre les peluches et les humains et que ses oreilles à lui ne risquent pas de se détacher. L'enfant continue son interrogatoire – et mes bras, et mes jambes… – et Fred Rogers lui répond jusqu'à ce qu'il soit complètement rassuré.
Il s'agit à chaque fois d'un enfant qui a peur et d'un adulte qui comprend comment parler, quelle question poser, quoi répondre à l'angoisse. La parole juste d'un adulte, qui arrive au bon moment pour l'enfant ne finit pas de m'émouvoir.