cailloux n°47

les livres d'occasion à 10 francs

cailloux*
3 min ⋅ 24/09/2019

À présent que j'ai environ 2 heures par jour dédiées au déplacement d'un point A à un point B en compagnie de centaines d'autres personnes, je lis. Je lis comme je n'ai pas lu depuis des années et, même si passer tant de temps dans un espace clos à proximité des genoux, cuisses, bras, oreilles agrémentées d'écouteurs sans fils, haleines et sacs de personnes inconnues ne m'enchante pas en soi, je suis ravie. J'ai le sentiment d'avoir retrouvé un compagnon perdu, un doudou au fond d'une malle : la lecture pour le plaisir.

En sortant du métro je me suis arrêtée devant une table de livres d'occasion. J'ai presque terminé La Maladie humaine de Ferdinando Camon, cela me tiendra une partie du trajet de demain matin mais je n'aurai rien à lire en rentrant demain soir, que faire. Comment être quelqu'un ? interroge Sheila Heti, bonne question, une petite étiquette (ces étiquettes autocollantes qui se découpent en 3 morceaux, vous voyez) indique que le livre coûte 2€, je rentre, donne 2€ au libraire, non merci pas besoin d'un sac, je le prends à la main et c'est là, à ce moment précis, que j'ai ressenti la joie de l'ami retrouvé. Peut-être parce que ce geste m'a rappelé les livres d'occasion achetés pour 10 francs, parfois 10 francs les 2, la petite pièce donnée aux bouquinistes des bords de Saône et les pages jaunes un peu cassantes dévorées le jour-même.

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La Maladie humaine de Ferdinando Camon, conseillé par un de mes professeurs de psychologie, est le récit du parcours analytique de l'auteur. Je ne connaissais pas Camon et ai rapidement déduit qu'il devait être né au milieu des années 30 et qu'il écrit à la fin des années 70. Certaines réflexions sont datées, pénibles même et, par ailleurs, les paragraphes sur son phallus, celui de son analyste, le sien encore, traînent en longueur, mais enfin c'est son analyse, ça lui appartient, c'est ainsi. Malgré cela, j'ai pris en note plusieurs passages qui parlent avec beaucoup de finesse du travail de l'analyse, dont celui-ci :

Lentement, au fil des ans, tu apprends que lorsqu'il y a de nombreuses interprétations possibles, il ne faut pas en choisir une bonne pour écarter les autres : si chacune explique quelque chose, elles sont toutes vraies. Tu as entrepris une analyse pour découvrir la raison de ton entrée en analyse, et tu finis par découvrir qu'il n'y en a pas une, mais deux-trois, trois-quatre, quatre-cinq mille. Chaque journée de ta vie, avant même ta naissance, en a accumulé des centaines : tu dois à présent marcher à reculons, et les liquider. À un certain moment de ta vie, ces raisons s'auto-reproduisaient, sans nul besoin d'interventions extérieures. Il te faut maintenant mettre en marche des mécanismes correcteurs qui s'autoreproduisent à leur tour. C'est cette opération qu'on appelle analyse.

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Sur l'idéologie humaniste, inspirée des Lumières, des mouvements de la tech humaniste tels que Time Well Spent, et leurs nombreux écueils :

Drawing from wellness culture, tech humanism adopts as one of its central tenets the perfectibility of the subject, pursuable through such activities as mindfulness, digital minimalism, productivity, self-discipline, and intentionality.

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L'autrice et bibliothécaire Nancy Pearl propose une règle pour savoir quand lâcher un livre :

If you’re fifty years old or younger, give every book about fifty pages before you decide to commit yourself to reading it, or give it up. If you’re over fifty, which is when time gets even shorter, subtract your age from 100. The result is the number of pages you should read before deciding.

Avant tout, je pense qu'il ne faut pas commencer les livres qui ne nous inspirent pas, même ceux dont on nous dit qu'il faudrait les avoir lus.

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